POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE et AGRICULTURE BIOLOGIQUE : Quelques faits

Auteur : Patrick Vincourt (CV)

Date : Mise à jour 13/06/2021

 

I.                    Introduction :

A l'occasion des discussions autour de la nouvelle PAC (2021-2027), un certain nombre de voix se sont élevées pour remodeler en profondeur les règles d'attribution des aides - en particulier celles du premier pilier.

La Commission Européenne elle-même a produit un document à caractère stratégique ("FarmToFork",https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/safety/docs/f2f_action-plan_2020_strategy-info_en.pdf ), qui réaffirme, entre autres et après d'autres, la nécessité de développer l'agriculture biologique: "There is an urgent need to reduce dependency on pesticides and antimicrobials, reduce excess fertilisation, increase organic farming, improve animal welfare, and reverse biodiversity loss".

Des parlementaires, des ONG et des think tanks affirment que l'agriculture biologique est le parent pauvre de la PAC, et qu'aux aides à l'hectare, il conviendrait de substituer d’autres mécanismes incitatifs, notamment des aides par emploi. 

Je me suis interrogé sur la réalité de la situation, en m'appuyant sur les données mises à disposition chaque année par la Ministère de l’Agriculture (https://www3.telepac.agriculture.gouv.fr/telepac/tbp/feader/afficher.action ), sachant que l'objectif n'est pas de mettre en exergue des situations individuelles, mais de voir quelles tendances se dégagent sur l’agriculture dite biologique en comparaison avec l’agriculture dite conventionnelle.

 

II.                  Matériel et Méthodes :

 

La source primaire des données pour l’année 2019, téléchargeable à l’adresse https://www3.telepac.agriculture.gouv.fr/telepac/tbp/feader/afficher.action, contient 1.728.446 enregistrements contenant les champs suivants : { Nom_Raison.sociale, Commune, Code.postal, Libellé.rubrique, Montant.rubrique}.

A partir de ce fichier ont été sélectionnés les bénéficiaires nommés (1.616.698 enregistrements, soit 93%). En effet, la liste des bénéficiaires est « anonymisée » dans un certain nombre de situations (par exemple, montant total des aides perçues inférieur à 1250 €, voir https://www3.telepac.agriculture.gouv.fr/telepac/tbp/accueil/accueil.action ), ce qui fait que des données ne peuvent être rapprochées via une clef unique de bénéficiaire.

A partir de cette sélection des bénéficiaires nommés a été créée une table avec comme clef (qui ne s’est pas avérée unique !) la concaténation du code postal, du nom/raison sociale du bénéficiaire, et de nom de la commune, et comme variables les montants perçus au titre des huit aides principales (Figure 1). Afin de créer un tableau {bénéficiaire, montants des huit aides principales}, les enregistrements se rattachant à plusieurs clefs identiques ont été supprimés, ce qui a engendré l’élimination de 562 enregistrements.

Trois variables supplémentaires ont été créées dans cette table:

-          Un « Montant Vert », qui rassemble les aides perçues sur la thématique explicite d’une agriculture « plus respectueuse de l’environnement » : « IV/A.16-Aides-à-l'agriculture-biologique », bien sûr, mais aussi « II.4-Soutien-pour-les-pratiques-respectant-le-verdissement » [1] et « IV/A.15-Soutien-agroenvironnement-climat »[2].

-          Un « Montant Non Vert », qui rassemble les aides perçues au titre « II.1-Aide-de-base-découplée-à-la-surface-(DPB) » et de « II.3-Soutien-supplémentaire-aux-premiers-hectares-(redistributif) ».

-          Le montant total des 8 aides principales.

Dans la pratique, toutes les situations se présentent : un agriculteur peut très bien faire migrer une partie de son exploitation en BIO, donc percevoir une aide BIO, mais conserver l’autre partie en conventionnel et percevoir l’aide de base DPB.

Les traitements effectués par R à partir du fichier brut jusqu’à l’obtention de tous les résultats sont décrits dans le fichier PAC_R_command_20-01-2021.txt du dossier  PAC_et_BIO_regards_V2.zip  

Figure 1 : Affectation (en France) des premiers 88% des montants des aides PAC aux différents objectifs. Voir liste complète des objectifs sur la page https://www3.telepac.agriculture.gouv.fr/telepac/tbp/doc/Publication-beneficiaires-2019_notice-mesures.pdf

 

 

III.                Premiers résultats :

1.       Quantiles de distribution des différents aides :

Les quantiles ont été construits pour différents critères auxquels correspondent différents ensembles de bénéficiaires :

-          Montant « Vert » qui rassemble les aides perçues, à quelque titre que ce soit, sur la thématique d’une agriculture « plus respectueuse de l’environnement » , pour les bénéficiaires percevant une aide BIO (« IV/A.16-Aides-à-l'agriculture-biologique »), éventuellement de façon non exclusive,

-          Montant « Non Vert » pour les bénéficiaires ne percevant aucune aide BIO,

-          Le total « Vert  + Non Vert »,

-          Le total des 8 premières aides. 

Globalement, les aides BIO ne représentent que 4% du montant total de la PAC. Mais comme  le nombre de bénéficiaires de cette aide, de façon exclusive ou non, est aujourd’hui restreint [3], cette situation cache le fait que les montants perçus par ces bénéficiaires de l’aide BIO sont significativement plus élevés que ceux perçus par les bénéficiaires « non BIO » stricts (Figure 2), en particulier pour les niveaux d’aide élevés.

Fig_2_V2.png

Figure 2 : Quantiles des aides pour différentes catégories d’aide et de bénéficiaires :

 

 

 

2.       Structure des aides dans l’ensemble de la population des bénéficiaires :

Une analyse en composantes principales a été effectuée sur le tableau constitué des montants perçus pour les huit principales aides et les 304.801 bénéficiaires non anonymisés (voir Matériel et Méthodes), avec deux variables supplémentaires quantitatives (« Vert » et « Non Vert ») et une variable qualitative (Département du bénéficiaire) (Figure 3).

 

Fig_3_V2.png 

Figure 3 : Cercles des corrélations pour l’ACP sur le tableau {bénéficiaires * montants des 8 aides les plus importantes en volume}. Les variables supplémentaires qualitatives « Vert » et « Non Vert » sont représentées en bleu.

Aux trois premiers axes correspondent trois ensembles de variables peu corrélées : le « Soutien aux investissements physiques » (IV/A.4) (60.5% de l’inertie), l’ « Aide de base découplée à la surface – DPB » (II.1,DPB) à laquelle est associé le « Soutien pour les pratiques respectant le verdissement » (II.4,VER) (17.4% de l’inertie), et l’aide « BIO » (7.2% de l’inertie).

Les aides distribuées au titre du « verdissement» (II.4) sont de fait très corrélées aux aides « DPB ». Elles le sont par construction, mais sous réserve que soient mises en place plusieurs mesures (https://agriculture.gouv.fr/paiements-decouples-le-paiement-vert). Le résultat obtenu traduit une certaine automaticité dans leur attribution, soit parce que de fait, toutes les exploitations ont engagé des pratiques de verdissement, soit – et au contraire, d’une certaine façon -  parce qu’il n’était pas légitime de les considérer comme des aides au « Verdissement » - et donc de les agréger avec les aides « BIO » au sein du montant « Vert » comme il a été ici choisi de le faire.

D’autre part, les montants « BIO » sont clairement non corrélés aux montants « DPB » et « Premiers hectares », donc « Non vert » comme défini. Enfin, les montants des autres aides (IV/A.18-Aide aux zones soumises à des contraintes naturelles, II.7-Aides couplées en faveur de productions spécifiques), quoique pouvant atteindre des montants significatifs pour certains bénéficiaires, sont globalement non corrélés aux aides majeures, n’induisant ainsi pas d’effet de cumul.

La variable supplémentaire qualitative « Département » a été placée dans cet espace, et  il apparait une corrélation négative significative (r=-0.67, p-value= 1.22 E-13) entre le troisième axe, qui rend compte essentiellement du montant « BIO » (corrélation entre l’axe 3 et la variable « Bio » =0.93), et la latitude moyenne des départements, calculée à partir de la latitude moyenne des communes des bénéficiaires (Figure 4).

 

latitude_1_V3.png

Figure 4 : Corrélation entre la latitude moyenne des Départements et les coordonnées des Départements dans l’espace constitué par les deux premiers axes de l’ACP sur le tableau {bénéficiaires * montants des différentes aides}. Comme le montre la figure 3, le premier axe est très corrélé à la variable « montants DPB » et le second, à la variable « montants BIO ».   

En cohérence avec la Figure 3, la corrélation entre le second axe de l’ACP, qui rend compte du montant DPB (et des montants « Non Vert», « Premiers hectares » et « Verdissement ») est positive et statistiquement significative (r=0.49, p-value = 4.50 E-07).

Pour simplifier, les Départements du Sud de la France ont davantage recours aux aides BIO, tandis que ceux du Nord, aux montants DPB.  Les montants moyens par département pour le DPB et le BIO sont peu différents, mais le pourcentage de bénéficiaires faisant appel aux aides BIO est significativement plus élevé dans le Sud (Tableau 1). 

Région (métropole)

% de bénéficiaires percevant une aide BIO

ILE_DE_FRANCE

6,0%

CENTRE_VAL_DE_LOIRE

4,4%

BOURGOGNE_FRANCHE_COMTE

8,7%

NORMANDIE

4,9%

HAUTS_DE_FRANCE

1,9%

GRAND_EST

5,3%

PAYS_DE_LA_LOIRE

10,8%

BRETAGNE

5,7%

NOUVELLE_AQUITAINE

8,4%

OCCITANIE

11,1%

AUVERGNE_RHONE_ALPES

10,4%

PROVENCE_ALPES_COTE_D_AZUR

14,0%

CORSE

9,0%

 

Tableau 1 : Pourcentage de bénéficiaires de l’aide BIO selon les régions françaises. 

 

 

3.       Relation entre le montant des aides PAC et la valeur ajoutée de la branche agricole :

On peut attendre des aides PAC qu’elles contribuent à développer la valeur ajoutée de la branche agricole, et donc qu’il y ait une corrélation entre le montant de ces aides, pour une zone géographique donnée  et cette valeur ajoutée. L’hétérogénéité géographique et agronomique des régions françaises ajoute de l’intérêt à l’examen de cette question.

La figure 5 confirme l’existence de cette corrélation, qui peut se traduire ainsi : en moyenne, 1 € d’aide PAC se traduit par 3 € de valeur ajoutée engendrée.

On peut noter cependant que les régions du Sud, dans lesquels on trouve un plus grand pourcentage de bénéficiaires de l’aide « BIO » (non exclusive) sont en dessous de la courbe de tendance (ex : Occitanie), alors que les régions du Nord (ex : Haut de France) sont au dessus.

Fig_5_V2.png

Figure 5 : Corrélation entre le montant de la dotation PAC par région française et la valeur ajoutée agricole engendrée. Source des valeurs ajoutées régionales : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893220   



[1] « Verdissement: en sus du régime de paiement de base/régime de paiement unique à la surface, les agriculteurs reçoivent un paiement à la surface découplé par hectare lorsqu’ils observent trois pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement:

- la diversification des cultures;

- le maintien des prairies permanentes;

- disposer d’une surface d’intérêt écologique sur la surface agricole. » 

[2] « Cette mesure encourage les gestionnaires de terres à appliquer des modes de production agricole qui contribuent à la protection de l’environnement, des paysages et des ressources naturelles, ainsi qu’à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ceux-ci. Elle peut porter non seulement sur des pratiques agricoles plus écologiques, mais également sur le maintien de pratiques bénéfiques existantes.

[3]

Il s’agit des bénéficiaires non anonymisés.